INTERVIEW du jars de L’Oie plate par M. L.
Pouvez-vous nous dire comment se porte l'édition en France ?
Bien, très bien même, si on se base sur les indicateurs périodiques de Livres Hebdo, le magazine des professionnels de l’édition. Cela reflète avant tout les résultats du milieu de l’édition parisienne qui truste la plupart des titres, des auteurs à succès, des critiques littéraires et des espaces publicitaires, qui envahit, via les grands diffuseurs et distributeurs, les linéaires forcément limités des libraires soumis à l’office*
Un peu moins bien lorsqu’on envisage le sort des petits éditeurs qui tentent de se faire une place entre les poids lourds parisiens. Les petites maisons de littérature de création sont souvent condamnées à publier de jeunes auteurs prometteurs que la grande édition débauchera s’ils confirment leurs promesses, les fonds de tiroir (pas inintéressant d’ailleurs) d’auteurs très connus et des auteurs « maison » qui le resteront car leur seul tort provient de la modicité des ventes de leurs ouvrages. Auteurs généralement peu ou pas connus PLUS manque de visibilité dans les médias et chez les libraires, vous avez là les ingrédients qui font du petit éditeur qui croit dans l’originalité de ses choix littéraires un forçat sous payé mais libre, un défricheur pour le compte des « nantis » de l’édition.
L’édition française – la grande comme la petite – est aujourd’hui à la croisée des chemins : les gens passent de plus en plus de temps à regarder des écrans plutôt que de lire des livres. Comme parallèlement, de plus en plus d’individus ont accès à la culture, il n’y a pas effondrement mais plutôt un léger tassement. La profession compense en produisant de plus en plus de titres qu’elle vend de moins en moins bien. L’important c’est d‘occuper le terrain avec le culte de la nouveauté. Elle y est aidée par deux progrès technologique récents : l’impression numérique qui autorise de très petits tirages, Internet qui devient à la fois un concentrateur et un accélérateur d’informations. Jusqu’à quand l’édition compensera-t-elle ? Bien malin qui pourrait le dire aujourd’hui !
Un mot sur les auteurs car il n’y a pas d’édition sans auteur. Leur situation tend à devenir la suivante : plus de livres, c’est plus d’auteurs publiés (avec des critères qualitatifs en légère baisse) ; moins d'exemplaires tirés et vendus, moins de droits d’auteur. Mais l’attraction de l’édition reste forte car il y a de plus en plus de candidats. Les gros margoulins de l’édition à compte d’auteur ont encore de beaux jours devant eux. Ni le système éditorial actuel, ni les milieux judiciaires et médiatiques n’ont envi de lever le voile sur cet aspect peu reluisant du « Livre piège à gogos » !
La faiblesse des petits éditeurs les pousse-t-elle parfois à profiter des auteurs désespérant de se faire éditer?
Le « parfois » résume assez bien là réalité des pratiques. Pour un petit éditeur qui navigue sur la corde raide, il devient tentant d’alléger ses charges de trésorerie en mettant l’auteur à contribution. Quelques-uns uns cèdent à cette facilité qui consiste généralement à vendre à l’écrivain une partie du tirage initial. C’est un compte d’auteur abusif crapuleux** car l’éditeur impose à l’auteur une contrainte financière sans contrepartie. Tous les inconvénients du contrat normal (cessions maximales, droits d’auteurs à minima) doivent être acceptés sinon l’éditeur ne publie pas. Cette pratique, qui aplanit provisoirement les problèmes de diffusion, se révèle être un piège pour les 2 partenaires.
La différence entre les comptes d’auteur occasionnels pratiqués par un éditeur normal et un éditeur prestataire spécialisé dans le créneau tient en plusieurs points : ce n’est pas le même métier ; le prestataire peut se révéler honnête et scrupuleux (il n’y a pas que des arnaqueurs) ; l’éditeur normal est toujours un éditeur abusif car il a honte d’une pratique qui dérange et abaisse son échelle de valeurs, risque de nuire à son image... et surtout il ne tient pas à ce que cela se sache. C’est pour cela qu’il bidouille et pourrit son contrat d’édition habituel plutôt que d’utiliser un contrat à C/A correct.
Il est normal qu’un auteur s’investisse dans la promotion de son livre par le biais d'interviews ou de séances de signatures en librairie ou lors des salons. En revanche, il faut absolument lui déconseiller de donner suite aux atermoiements d’un éditeur qui, à demi mots, lui ferait comprendre que la publication serait possible à la condition qu’il mette la main à la poche. Les conséquences de ces offres plus ou moins suggérées sont de deux ordres : l’éditeur n’est pas réellement convaincu par le texte ; il ne fera rien pour le promouvoir car l’ouvrage dépareille son catalogue. Pourquoi ferait-il des efforts, puisqu’une partie du tirage a été prévendue.
Hormis le fait de se procurer vos publications, quels conseils donneriez-vous aux auteurs en quête d'éditeur?
Avoir une ligne de conduite rationnelle, réaliste. Il ne s’agit pas seulement de savoir jusqu’où on peut aller pour satisfaire un désir de publication, mais aussi de construire une stratégie qui accumule les atouts. Lire les auteurs contemporains de préférence aux classiques ; les lire plus pour se comparer que pour le plaisir ou la distraction ; se relire et se corriger sans complaisance (100 fois sur le métier etc.) ; recueillir des avis indépendants ; fuir les critiques positives des amis particulièrement lorsque rien ne les étaye.
Evaluer votre œuvre comme le ferait un maquignon. Cibler votre lectorat. Croire qu’on a écrit un texte inclassable, un chef d’œuvre incompris dénote une absence de distanciation qui tournera très vite à l’aigreur. Chaque refus d’éditeur sera vécu comme une agression profonde de l’ego.
L’annuaire des éditeurs (Audace) et 150 Questions sur l’édition décrivent sans complaisance le milieu éditorial dans lequel le jeune auteur cherche à se faire une petite place. Il est prudent de recouper les sélections d’éditeurs opérées dans Audace par d’autres sources en allant voir leurs sites Internet, ce qu’en disent des articles en ligne, les forums ou les blogs, sans oublier l’avis de son libraire.
Evitez de négliger les petites maisons au motif qu’elles sont mal diffusées, les éditeurs régionaux car leurs ouvrages ont peu d’échos dans la presse nationale et surtout, surtout ne céder pas trop vite au découragement et aux sirènes du compte d’auteur abusif. Publier chez les arnaqueurs, c’est démarrer sa carrière littéraire avec une étiquette de gogo qui risque de vous suivre et vous poursuivre longtemps.
Bref, s’il fallait résumer en 4 verbes une bonne stratégie de publication, ce serait : retravailler, distancier et s’informer sans se décourager. Posséder un réel talent d’écriture, ça aide, même si ça ne suffit pas toujours !
Roger Gaillard
Notes :
* Nouveautés expédiées systématiquement au libraire par l’éditeur ou le diffuseur Le libraire le paye avant de les avoir vendu. Il sera crédité 3 mois plus tard des invendus qu’il retourne.
** Par rapport aux règles de l'article L-132-2 du Code de la propriété intellectuelle qui régit l’édition à compte d’auteur. Les auteurs pressentis n’appartiennent pas au tout venant des gogos mais ils vivront la même mésaventure. Les manuscrits comportent des qualités substantielles que l’éditeur juge insuffisantes.