Être publiée dans des revues littéraires m'a conféré un minimum de crédibilité. Je restais (et je reste encore) une illustre inconnue mais je disposais dès lors de quelques faits d'arme à mettre en avant.
C'est grâce à cela que j'ai rencontré un certain AE qui cherchait un auteur pour mettre en mots un projet de pièce de théâtre qu'il avait en tête avec son ami MA.
J'aime beaucoup le théâtre, mais paradoxalement, je m'y rends très peu. Il m'arrive d'en regarder à la télé et pour le reste je me contente des pièces jouées par certaines de mes connaissances. Et j'ai lu les inévitables Molière, Corneille, Racine, Shakespeare, Genet, Ionesco, Beckett, Jarry et j'en passe. Je dois donc dire que même si j'ai toujours trouvé cela agréable, me lancer ainsi dans cette aventure était particulièrement prétentieux. Je manquais à la fois de références et d'entraînement. Mais comme j'aime les défis et que je n'avais somme toute rien à perdre, j'ai accepté. Je vivais chez mes parents, et j'étais au chômage: la précision est primordiale.
L'avantage avec le théâtre, c'est qu'on voit directement les réactions des gens. Aucune hypocrisie, aucune diplomatie. Le public s'est déplacé pour la troupe et pour votre boulot, il ne vous connaît pas. Pas de pitié, pas de cadeau.
Mais avant d'en arriver à ce stade, il faut déjà écrire la pièce.
Jusque là, je n'avais encore jamais travaillé sur commande. J'avais toujours été seule avec moi-même, en exceptant les "critiques" de mes proches qui se bornaient généralement à "c'est très bien" ou "c'est génial" mais surtout "Je t'admire de faire ça, j'en serais bien incapable". Là, j'avais deux personnes qui avaient une idée en tête. La première étape a été de les pousser à abandonner cette idée, parce qu'elle était franchement mauvaise. Ensuite, le metteur en scène, l'excellent Daniel Decot, m'a donné quelques idées que j'ai immédiatement appliquées. L'air de rien, c'était beaucoup de travail, beaucoup de pages déchirées, beaucoup de mails, beaucoup de sessions téléphoniques, de prises de tête... Au final, c'était une expérience intéressante, enrichissante... mais que je n'ai plus envie de rééditer. Trop de frustration pour qu'au final le résultat ne me plaise qu'à moitié.
J'ai malgré tout terminé le chef-d’œuvre, les comédiens se sont rassemblés, le non moins excellent Pierre-Olivier Bouquegneau a pris le relais de Daniel Decot que des raisons de santé avaient écarté du projet. C'était une énorme galère, mais elle ne me concernait plus que de loin. Il fallait trouver et garder les bons comédiens, les financements, les costumes, les décors, les salles, s'occuper de la com etc. De multiples péripéties sur lesquelles je préfère passer. C'est juste pour dire que monter une pièce de théâtre, c'est pas aussi simple que ça pourrait en avoir l'air.
Et ce fut la première, dans un beau théâtre. C'est une impression à la fois étrange et agréable de voir ses personnages prendre vie, s'animer et suivre l'histoire qu'on a inventée. Le plus intéressant, pour moi, aura été l'interprétation des comédiens. Je m'étais tenue à l'écart, refusant de les influencer dans leur jeu, justement pour voir comment ils allaient se débrouiller avec la matière brut. Et il y a effectivement un fossé. On peut sans peine retrouver ce même fossé avec un lecteur de roman. Je le savais, mais le voir et l'entendre, c'est toujours mieux. Si je dis "chien" par exemple, vous allez vous imaginer un chien, sauf que ce ne sera sûrement pas le même que celui que moi j'imagine. C'est un fait primordial que tout écrivain doit garder en tête.
Et finalement, le public.
Plus encore que ce qui se passait sur scène, j'étais attentive à leurs réactions. Je voulais voir à quel moment ils souriaient, ils riaient et avec quelle intensité. Je n'ai pas été déçue par moi-même: ils riaient où je voulais qu'ils rient et avaient la chair de poule avec la scène finale. Je trouve fascinant de se dire qu'en pianotant sur un clavier on peut jouer avec les émotions des gens.
Mission accomplie. Le public était content. Le message de tolérance qu'il fallait faire passer est bien passé. La pièce a même été jouée au Maroc... où pour le coup le public n'a pas du tout ri aux mêmes moments. Question de culture, de langue, bien sûr. Ils étaient bien plus réceptifs à la mise en scène qu'au texte en lui-même.
La pièce aurait dû être rejouée après ça, mais un comédien voulait s'arrêter sur ce qu'il considérait comme une apogée. Après plusieurs autres départs et remplacements, plus personne n'avait assez de motivation pour repartir à zéro avec une nouvelle personne. Alors l'aventure s'est arrêtée là, pour cette pièce.
Parce que du coup, AE, le producteur, m'a proposé d'en écrire une autre, en me laissant plus de liberté. J'ai accepté. J'étais un peu plus satisfaite du résultat final... mais après quelques répétitions, je n'ai plus jamais eu de nouvelles. Projet abandonné. Ce sont les aléas du spectacle. Autre précision importante: je n'ai pas touché un centime pour aucune des deux pièces. Par contre, on me sollicite régulièrement pour écrire (toujours de façon bénévole) un peu tout et n'importe quoi. Parce que "c'est une passion pour toi! Tu l'as déjà fait, pourquoi tu le referais pas?". Parce que j'avais du temps, que j'étais nourrie, logée, blanchie par mes parents, que l'expérience m'intéressait à ce moment de ma vie et... que j'étais naïve. J'ai été exploitée à deux reprises, lors des remerciements à la fin des représentations, le producteur remerciait tout le monde y compris la boulangerie qui avait fourni les petits-pains (ce qui est bien normal), mais il m'oubliait systématiquement (ce qui l'est un peu moins). Donc, non merci!
Par la suite, d'autres (à commencer par moi-même) ont essayé, timidement, de monter cette nouvelle pièce mais à ce jour elle reste un simple texte sur papier.
Pour bien faire, à l'occasion, il faudrait que je la dépoussière, que je corrige quelques détails, que je l'améliore, à froid. Le mieux serait que je la réécrive.
A m'a également proposé d'écrire un scénario de long métrage. J'ai accepté sans grande conviction, avant de renoncer: écrire un scénario, c'est excessivement chiant et je n'avais aucune envie de perdre des mois voire des années de boulot pour un objet qui avait de bonnes chances de finir dans un tiroir voire une poubelle. Si j'avais été au bout et que ça avait marché, ça aurait été un sacré orgasme mais si on n'y croit pas dès le départ, c'est pas la peine de forcer. À la rigueur, motivée par une avance de quelques milliers d'euros, j'aurais pu faire l'effort. Mais là, non.
Toujours est-il que cette expérience théâtrale constitue un plus sur mon CV littéraire et que cela a conforté plus encore ma confiance en moi. C'est donc là que j'ai décidé de me remettre au roman, ce qui est une autre paire de manches.